Positionnement épistémologique et démarche méthodologique

Trois types d’enquêtes

  • L’enquête monographique Exemple célèbre : l’étude de Paul Lazarsfeld et son équipe en 1930 à Marienthal, Autriche.
  • L’enquête compréhensiveBasée sur des entretiens approfondis. Exemple parfait : L’épreuve du chômage de Dominique Schnapper.
  • L’enquête par questionnaire : Réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population. Modes d’exploitation et résultats présentés dans le livre coordonné par Duncan Gallie et Serge Paugam.
  • En gros :
    • Monographique = étude de cas complète, exemple : Marienthal.
    • Compréhensive = comprendre le vécu par entretiens, exemple : Schnapper.
    • Questionnaire = quantitatif à grande échelle, exemple : Gallie et Paugam.

Lazardsfeld et al 1933 : une monographie sur un cas unique, approche multidimensionnelle

  • Monographie : créer un inventaire exhaustif de la vie quotidienne des chômeurs de Marienthal.
  • Paul Lazarsfeld et son équipe ont développé une méthode combinant l’utilisation de données chiffrées précises et l’observation participante.
  • Des contacts étroits avec la population : capter les détails intimes de la vie quotidienne.
  • L’approche multidimensionnelle d’un cas limite la possibilité de généraliser leurs résultats.
  • Les données recueillies étaient à la fois objectives et subjectives : mesurer des données psychologiques, minimiser les éléments subjectifs en questionnant les impressions non confirmées par les données objectives.

Schnapper 1981 : 100 entretiens semidirectifs auprès d’un échantillon diversifié.

  • Schnapper étudie le chômage par des entretiens semi-directifs (100 entretiens avec une grille qui sert de guide ad hocon s’adapte).
  • Non pas une monographie, mais une enquête qualitative sur un échantillon diversifié. Il veut voir la diversité des expériences, pas raconter la vie d’un groupe homogène.
  • Non pas une description, mais une analyse visant à comprendre les expériences vécues. Pas possible d’utiliser un questionnaire standardisé, il faut utiliser des entretiens semi-directifs.
  • Profondeur obtenue grace à la confiance avec l’enquêteur….. mais :
    • Ce matériel autorise une analyse purement qualitative, permettant de préciser les divers éléments de l’expérience vécue du chômage, d’expliquer les facteurs qui influencent cette expérience, sans qu’on puisse évaluer le poids relatif de ces facteurs. Il permet, certes, d’élaborer des types, mais indépendamment de leur représentation statistique dans la population globale des chômeurs.
      • En gros Oui, je peux dégager des types de chômeurs (ex : les résignés, les combatifs, les honteux, les détachés…), mais je ne peux pas dire combien ils sont dans la vraie vie.

Gallie et Paugam 2000 : le questionnaire auprès d’un échantillon représentatif

  • L’enquête par le Panel communautaire des ménages de Gallie et Paugam… On a besoin que l’état connaisse sa population pour fare un travail à cette échelle.
  • Pas de focale sur la subjectivité, mais sur des questions objectives quantifiables, on a ici toutes les données objectives.
  • Possibilité de comparer la population au chômage avec celle ayant un emploi.
  • Possibilité de comparer entre plusieurs pays et sur la durée.
  • Possibilité d’articulation avec des questions de regulation du chômage EU.

Résumé

Exemples d’enquête sur le chômage

  • Des enquêtes très différentes, mais abordant le fait social qu’est le chômage.
  • Les approches respectives - observation ethnographique, entretien approfondi et le questionnaire - sont complémentaires.
  • Mais les moyens étant limités, il faut faire des choix et les justifier.

Les deux voies de l’enquête en sciences sociales :

Démarches qualitatives et quantitatives

Deux voies… deux cultures
  • Contre l’idée selon laquelle les différences entre ces traditions seraient uniquement stylistiques (par, ex. King, Keohane et Verba (1994) : (par exemple chiffres versus mots).
  • La recherche qualitative et la recherche quantitative dans les sciences sociales représentent deux cultures méthodologiques distinctes : chaque culture a ses propres valeurs/objectifs (causalisation/prediction vs. compréhension), normes, logiques de recherche, méthodes et ses outils d’inférence (régression vs. études de cas) (Goertz et Mahoney).
  • Chaque culture possède ainsi sa cohérence interne : les chercheurs issus d’une même culture communiquent facilement entre eux mais rencontrent des difficultés de communication avec ceux de l’autre culture.
… historiquement affirmées

Cette divergence s’est affirmée historiquement, progressivement à mesure que :

  • Les méthodes statistiques se formalisaient dans les sciences sociales.
  • Les traditions qualitatives, elles, se renforçaient dans des pratiques historiques, comparatives ou interprétatives, notamment en science politique et en sociologie.

La recherche quantitative

  • Ancrée dans le développement des statistiques et de la théorie de la probabilité.
  • Appuyée par la montée des méthodes expérimentales (idéal du traitement et du contrôle).
  • Centré sur l’estimation des effets moyens (d’un traitement, d’une politique).
  • La tradition quantitative s’est imposée comme dominante en sciences sociales (particulièrement en science politique et sociologie américaine), notamment avec la diffusion de manuels méthodologiques normalisés. Elle définit presque le paradigme de la science sociale

La recherche qualitative privilégie généralement :

  • Héritière des traditions historiques et comparatives (anthropologie par ex.), marquées par l’analyse d’événements et de processus singuliers.
  • Longtemps moins codifiée méthodologiquement, basée sur :
    • l’analyse intra-cas (within-case analysis),
    • la recherche de processus causaux par le process tracing+contre-factuels et
    • l’utilisation implicite ou explicite de la logique formelle et de la théorie des ensembles (set theory).
  • L’émergence récente d’outils plus formalisés comme la QCA (Qualitative Comparative Analysis, Charles Ragin) a permis une certaine formalisation de cette culture méthodologique.
  • Des modèles de causalité asymétriques.
  • L’importance des conditions nécessaires et suffisantes, souvent combinées en configurations causales complexes (causal complexity).
  • Le développement historique montre une hégémonie progressive des approches quantitatives dans la formation académique et dans les publications, tandis que les approches qualitatives ont poursuivi un chemin plus diversifié et moins institutionnalisé jusqu’aux années 2000.

Reconnaître les limites de l’objectivation : recommendations de Paugam sur la base d’Aaron

  • La sociologie empirique contient des jugements de valeur : prise de conscience par les sociologues de leurs propres préférences et des implications sociales et politiques de leurs travaux.
  • On peut viser l’équité plutôt que la neutralité, en reconnaissant que la sociologie ne peut éviter les jugements de valeur mais doit les clarifier et les analyser. l’équité, et non la stricte neutralité, peut garantir l’authenticité de la sociologie.
  • Il convient de réfléchir sur les conditions sociales et historiques de leurs productions pour donner un sens authentique à leurs recherches.
  • La conscience de ces limites doit inciter à une vigilance accrue lors du choix du mode d’objectivation : une réflexion critique sur les conditions de production du savoir sociologique est nécessaire.

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